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Gacaca in Rwanda by Cyrien Kanamugire

Dear ALL,

please read the article on Gacaca in Rwanda by Cyrien Kanamugire (see Advisory Board) further down. Anybody who wishes to translate this text into English is most welcome!
Cordially!
Evelin

RWANDA-JUSTICE:
La phase décisive des Juridictions Gacaca

Cyrien Kanamugire, journaliste et licencié en Droit,
Rwanda, Avril 2004

Devant l’énorme contentieux judiciaire créé par la présence de plusieurs milliers de présumés coupables ayant trempé dans le crime de génocide de 1994, le gouvernement rwandais a tenté de résoudre le problème par la création des juridictions populaires dites GACACA (Gazon en Kinyarwanda), inspirées du modèle de justice traditionnelle, combinée avec les techniques de la procédure pénale moderne, mais confiées à la population elle-même et non aux professionnels du droit.
Créées par une loi organique du 26.1.2001, les Juridictions Gacaca ont été lancées dès le mois de Juin 2002, dans 12 localités à titre d’essai. Les 12 localités comptaient 80 sièges des Juridictions Gacaca qui devaient fonctionner. Cinq mois plus tard, un autre ballon d’essai fut lancé au mois de novembre 2002, dans 106 nouvelles localités. Cela portait à 118 les secteurs dotés des juridictions Gacaca qui devaient servir d’échantillon pilote. Au total 758 Juridictions étaient en fonction dès le mois de Novembre 2002. La phase pilote doit s’achever à la fin du mois d’avril 2004.
A partir du mois de Juin 2004, le processus va s’étendre sur toutes les collines du Rwanda. On compte environ 8852 Juridictions Gacaca qui doivent alors entrer en fonction. C’est une opération gigantesque, une véritable aventure judiciaire des temps modernes, qui demande une logistique considérable, et un suivi ininterrompu, afin de s’assurer que ses objectifs seront atteints dans le strict respect des droits de la personne. On redoute évidemment des risques d’embouteillage, de réactions incontrôlées et de graves menaces qui pèseront sur les témoins, en particulier les quelques rescapés du génocide.

Pourquoi les Juridictions Gacaca?
Au lendemain du génocide commis au Rwanda au printemps 1994, plus de 100.000 détenus se sont retrouvés dans les prisons du pays. Bien entendu, les procédures d’arrestations et de détention n’avaient pas été suivies. L’appareil judiciaire étant entièrement détruit, et le personnel judiciaire se comptait par dizaines.
Pour juger les milliers de présumés coupables, les observateurs les plus optimistes donnaient aux juridictions classiques rwandaises, au minimum 200 ans.
Avec un tissu social entièrement déchiré, un besoin urgent de réconciliation nationale, des victimes et des accusés qui réclamaient justice, des prisons pleines à claquer sans possibilité d’entretenir tout ce monde, avec une économie exsangue et sous perfusion, le système juridique moderne, en l’occurrence Romano-Germanique hérité de la colonisation, ne pouvait être d’aucun secours. Le droit moderne n’ait pas été conçu pour juger le crime de génocide, commis par un peuple sur ses propres compatriotes, qui de surcroît doivent toujours cohabiter dans la pauvreté, criminels et survivants sur les mêmes collines.
Le Rwanda se devait donc de créer un système qui puisse à la fois accélérer l’organisation des poursuites, réconcilier le peuple avec lui-même, ressouder le tissu social, connaître la vérité sur ce qui s’est réellement passé, amener les coupables à reconnaître leurs crimes et à se repentir, sans viser uniquement la répression.
Puisque les juridictions classiques étaient incapables de remplir cette mission, il fallait ramener le jugement d’où il émane, en confiant à la population elle-même, qui a été à la fois actrice et témoin de ces horreurs commises au grand jour, le soin d’organiser ces procès, en dénonçant les coupables et en apportant les preuves.


STRUCTURES DES JURIDICTIONS GACACA
Le Rwanda, (26338 km2) est divisé en 10 provinces, auxquelles s’ajoute la Mairie de la ville de Kigali la capitale. Chaque province est divisée à son tour en Districts, soit 106 au total. Le District est divisé en secteurs, et chaque secteur divisé à son tour en cellules, la plus petite entité administrative. Chaque cellule, qui compte entre 500 et 1000 habitants, est dotée d’une juridiction Gacaca. Au total 8852 cellules et autant de Juridictions Gacaca qui doivent fonctionner au premier degré.
Chaque juridiction est composée d’un siège de 19 juges durant la phase pilotes, qui passeront à 9 selon les termes de la nouvelle loi remaniée, et d’une assemblée générale composée quant à elle de tous les habitants adultes de la cellule. Pour que la juridiction puisse siéger et délibérer valablement, au moins 15 juges et 100 personnes pour l’Assemblée générale, doivent être présents. Le premier degré de la juridiction est celui de la cellule, dont la mission est la suivante :
-Inventorier le nombre de personnes qui habitaient la cellule avant le génocide,
-Inventorier le nombre de victimes tuées dans la cellule ou hors d’elle,
-Etablir la liste des auteurs de ces crimes avec des preuves à l’appui,
-Recevoir les aveux et plaidoyer de culpabilité,
-Rassembler les preuves à charge et à décharge déposées par les témoins,
-Accomplir pratiquement tous les actes dévolus au ministère public durant la phase d’instruction préparatoire, et au moment de clôturer le dossier, indiquer la catégorie du coupable suivant les indications de la loi.
Au moment des procès, la juridiction de la cellule connaîtra des infractions de la 4ème catégorie, càd des infractions contre les biens (pillage, destruction des maisons, bétail, etc.…). Le 2ème degré de juridiction, celui du secteur, connaîtra des appels du 1er degré, ainsi que des infractions de la 3ème catégorie. La juridiction du District connaîtra des infractions de la 2ème catégorie et bien sûr des appels de la 3ème catégorie. Les présumés coupables de la 1ère catégorie (les planificateurs, incitateurs, superviseurs, meurtriers de grand renom...) seront jugés par les juridictions ordinaires accusés par le ministère public, mais sur les dossiers préparés par Gacaca.
Les critères de catégorisation et les peines correspondantes ont été définis par la loi. Le fait d’avoir plaidé coupable et fait des aveux influence la catégorisation et fait gagner une réduction de la peine.

Qui sont les juges à ces différents niveaux
A part les coupables de la 1ère catégorie qui comparaîtront devant les juridictions classiques, les juges des Juridictions Gacaca sont élus au sein de la population.
Ce sont des personnes supposées être intègres, mais on a constaté que plusieurs suspects ont essayé de se glisser parmi les juges, sont dénoncés et remplacés au fur et à mesure. La phase pilote servait d’essai et ses résultats ne manquent pas d’être instructifs.
La réunion de la Juridiction se tenait sur la place publique une fois par semaine. Chaque habitant de la cellule, ayant l’obligation de témoigner (quoique non respectée) était invité à dire ce qu’il sait, a vu ou entendu. Ainsi, petit à petit, la juridiction dresse la liste des victimes tuées dans la cellule ou hors d’elle, ainsi que les responsables de ces crimes, leurs complices, et si possible les circonstances et les détails Grâce à la procédure d’aveu qui accorde une sensible réduction des peines à ceux qui passent aux aveux, une partie de la vérité est de plus en plus connue. Mais les observateurs estiment que toute la vérité n’est pas révélée.

La procédure d’aveu en prison
La 1ère loi organisant les poursuites du crime de génocide datait de 1996. Cette loi prévoyait aussi la procédure d’aveu, mais n’a pas été suivie. La loi ne faisait aucune concession aux coupables de la première catégorie et qui sont les plus influents, ensuite les prisonniers gardaient encore un espoir dans les leurs qui se battaient encore en RD Congo, dans le but de renverser le pouvoir de Kigali animé par le Front Patriotique qui a mis les forces du génocide en déroute.
Avec l’évolution de la situation en RD Congo, et la défaite progressive des forces qui ont commis le génocide au Rwanda, les aveux se sont accélérés surtout avec la nouvelle loi du 26.1.2001. Par exemple, sur les 3700 prisonniers détenus à Kibuye, en Janvier 2003 et accusés de génocide, plus de 1000 détenus avaient plaidé coupables.
Celui qui fait des aveux le fait d’abord par écrit, ensuite vient le répéter soit devant l’officier du Ministère Public ou devant Gacaca, càd devant la population de sa cellule. En même temps, il demande pardon à Dieu, à la nation, et à la famille des victimes. Certaines révélations sont parfois difficiles à entendre et à supporter. Ainsi on apprend que des mères ont livré leurs enfants, des femmes ont été terriblement torturées avant d’être tuées, et d’autres crimes qui ont été commis avec une cruauté inouïe. Des hommes qui ont tué plusieurs personnes et qui l’avouent sortent des prisons, viennent témoigner sur la colline et osent embrasser leurs femmes et leurs enfants, fraterniser avec leurs voisins, qui leur réservent un accueil presque délirant.

Sont-ils humiliés ou non?
Les témoignages des rescapés à leur tour sont très poignants. Certains sont sortis à plusieurs reprises du tombeau et souffrent terriblement devant ces criminels dont certains sont déjà libérés. Les coupables ont sans doute honte de leurs actes, et pour certains les aveux apaisent leur conscience. Au début ils craignaient la réaction des rescapés, de possibles représailles sur les familles des coupables, mais cela n’a pas été le cas. J’ai entendu certains coupables dire: Ecoutez ce que je dis, ne me regardez pas dans les yeux, je ne suis plus digne d’être regardé en face. Au vu de ce que nous avons fait, nous ne méritions même pas de vivre.
Les rescapés du génocide supportent courageusement les témoignages. Ils ont eux aussi besoin de savoir comment les leurs ont été tués et par qui, même si aucune loi ne leur accorde jusqu’ici de réparation; comme si leur préjudice n’était pas pris en compte. Pour eux, le gouvernement, en se souciant uniquement des coupables, fait une sorte de justice à deux poids deux mesures.
La grande crainte est que les Juridictions Gacaca risquent d’envoyer en prison plus de monde qu’il y en a aujourd’hui. Comme l’a écrit un jour le New York Times, au lendemain du lancement des Juridictions Gacaca, ces dernières risquent de créer plus de problèmes qu’elles n’en résoudront.
Ce dialogue social autour du crime aura quand même un mérite: Faire prendre conscience à l’homme rwandais qu’il été plus sauvage que les bêtes, tout en lui montrant la possibilité de retrouver la voie de la grandeur, dans l’espoir d’un plus jamais ça (Never Again). Car il serait plus dangereux de le laisser ignorer l’un et l’autre comme l’a dit le philosophe Blaise Pascal dans ses pensées.

Cyrien Kanamugire,
Rwanda, Avril 2004

Posted by Evelin at May 8, 2004 12:07 PM
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